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Crise frontalière Haïtiano-Dominicaine : L’Indépendance alimentaire des agriculteurs du Nord-Est contre la dépendance de la République Dominicaine-Partie 1

Philippe Hannibal Price a abordé dans ses études sur les finances et l’économie nationale le concept de la responsabilité de l’État. Selon lui, la doctrine du protectionnisme engage l’État à protéger les vies et les biens de ses citoyens, ainsi qu’à promouvoir des mesures juridico-institutionnelles visant à garantir l’exploitation des ressources de la région au bénéfice de sa population. Cette étude remonte à 1876. Plus de 147 ans se sont écoulés depuis, et l’État haïtien n’a jamais assumé cette responsabilité. Au lieu de cela, nous avons été témoins d’une série de violences, de dépendance et de faiblesses sur la scène internationale lorsque les intérêts du peuple haïtien sont en jeu.

La République d’Haïti et la République dominicaine sont deux États partageant le même territoire. Ils ont le droit de disposer librement des ressources naturelles sur leurs territoires respectifs, et celles situées le long de la frontière peuvent être exploitées moyennant un accord pour une utilisation équitable, permettant ainsi aux deux États de bénéficier de ces ressources. Cependant, la République dominicaine exploite la rivière Massacre avec 11 points de captage à des fins industrielles ou agricoles, malgré un accord datant de 1929 qui réglait son exploitation.

En réponse, les agriculteurs du Nord-Est ont construit un canal pour acheminer une partie de l’eau de la rivière vers leurs terres afin de l’utiliser à des fins d’irrigation. Cette action a provoqué une crise diplomatique, conduisant le président actuel de la République dominicaine, Abinader, à fermer ses frontières terrestres et maritimes en réaction à ce qu’il considère comme une atteinte à ses intérêts. Cependant, cette mesure n’a pas arrêté les travaux.

La construction du canal a suscité un vif intérêt au sein de la société haïtienne, tant en Haïti qu’à l’étranger. De nombreux soutiens sont venus de partout, fournissant des matériaux de construction et de la nourriture pour les travailleurs du chantier. Beaucoup d’autres se sont joints aux efforts de construction, considérant ce projet comme une démonstration de la volonté d’atteindre l’autonomie alimentaire face aux produits dominicains, fabriqués dans des conditions préoccupantes.

L’État haïtien, fidèle à sa nature de dépendance envers le capital étranger installé dans la République, dépêche des émissaires pour rechercher une solution pacifique à la crise. De son côté, Abinader, conscient de l’importance politique internationale que représente la situation en Haïti, insiste sur l’arrêt des travaux comme condition préalable à toute négociation. Cependant, le peuple haïtien, en particulier ceux engagés dans le chantier, affirme n’avoir envoyé aucun émissaire. Ce qu’il défend, c’est sa dignité dans l’alimentation.

La crise s’aggrave, et l’État haïtien se retrouve dos au mur. Fournir une alimentation saine à la population est bien plus qu’une question de santé, c’est une question de dignité. L’agriculture demeure l’un des piliers de la richesse et de la puissance d’une nation, ce qui suscite l’intérêt des entreprises multinationales capitalistes pour investir dans ce secteur. La République dominicaine a une fonction de production, fournissant à la fois son marché intérieur et, en particulier, le marché extérieur dont Haïti est le principal consommateur. Cependant, la violence perpétrée par l’État haïtien entrave l’agriculture, rend le territoire inhospitalier et pousse ses citoyens à travailler dans les entreprises multinationales installées en République dominicaine, aggravant ainsi la dépendance alimentaire.

C’est ce que pensent les élites dominicaines, doublées par les multinationales, d’où la pression sur le président pour fermer les frontières et acheter des produits périssables. La construction du canal sur la rivière Massacre est une autre manifestation de la résistance haïtienne face à l’accumulation du capital de ces entreprises étrangères, qui ont exercé leur influence depuis l’occupation américaine des deux États.

Il faut prendre en compte deux aspects importants. Tout d’abord, la violence de l’État, qui pourrait porter atteinte à cet exercice souverain, et ensuite, la présence des anciens responsables étatiques, nationalistes de second rang, qui se présentent comme experts dans la problématique haitiano-dominicaine. Il ne s’agit plus de chercher à se rétablir politiquement en exploitant la dignité de ce peuple en lutte depuis le début de son histoire.

La construction de ce canal est un nouvel acte posé par le peuple haïtien pour montrer au monde que la valorisation de la vie reste et demeure leur combat principal.

Richecarde CÉLESTIN / Opinion

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