Le 17 avril 1825, 21 ans après l’indépendance de Saint-Domingue, les Haïtiens, notamment ceux vivant à Port-au-Prince, constatent l’arrivée d’un navire de guerre français dans la rade de la capitale du nouvel État. À son bord, le Baron Mackau, émissaire de Charles X, roi de France, apportait les conditions pour que l’ancienne métropole reconnaisse l’indépendance d’Haïti. Munie d’une ordonnance royale, la France exigeait le versement d’une indemnité de 150 millions de francs or, payable en cinq tranches annuelles.
Sous la pression de cette exigence et pour éviter un nouveau conflit militaire avec la France, les élites politiques et économiques haïtiennes dirigées par Jean-Pierre Boyer contractèrent des emprunts auprès des banques privées françaises pour s’acquitter de cette dette. Cette décision, prise il y a près de 200 ans, continue d’avoir des conséquences profondes sur l’économie, la politique et les relations internationales d’Haïti.
Le paiement de cette dette coloniale a également influencé le régime de travail des classes populaires haïtiennes. En 1825, le code rural imposé par l’État transforma la « liberté générale » en un nouveau type de travail forcé, marquant la transition du travail esclavagiste vers un système de contrôle juridicisé des paysans. La dette, finalement remboursée en 1885 sous le gouvernement de Lysius Salomon, avec des intérêts payés jusqu’en 1950 sous la présidence de Dumarsais Estimé, a durablement paralysé l’économie haïtienne.
De plus, cette dette coloniale a été utilisée comme une arme politique par les puissances impérialistes, notamment la France et les États-Unis, pour exercer une pression sur les gouvernements haïtiens. En 2025, Haïti marquera les 200 ans de l’acceptation de cette dette, dans un contexte de crise politique intense, de contestations populaires et de violences sans précédent. Pour le peuple haïtien, cette dette symbolise le poids d’une indépendance soumise aux diktats du colonialisme et du néocolonialisme, rendant essentielle la nécessité de s’en souvenir et d’en débattre.
Les discussions sur la dette de 1825 sont souvent cantonnées aux cercles universitaires et aux organisations militantes. Les avis divergent : fallait-il accepter de payer cette dette dans le contexte de l’époque ? Aujourd’hui, les États impérialistes doivent-ils rembourser cette somme ? Pour Sonson Mathurin, membre de l’initiative « Rakonte Dèt / Ranson 1825 », il est impératif que cette histoire soit partagée non seulement dans les milieux académiques mais surtout au sein des communautés populaires, urbaines et rurales, descendantes de ceux qui ont été contraints de payer une dette qu’ils n’avaient pas choisie.
En 2004, l’ancien président Jean-Bertrand Aristide avait mené une campagne active pour réclamer des réparations à la France, une démarche qui, selon certains, contribua à son renversement orchestré par la France et les États-Unis. Aujourd’hui, le groupe GIRR (Groupe d’Initiative pour la Réparation et la Restitution) travaille à mobiliser la société civile haïtienne en vue de réclamer le remboursement de cette dette dans un contexte où la France traverse elle-même une période de bouleversements politiques.
La dette coloniale, au-delà de son aspect financier, est une arme politique servant à maintenir la domination et l’exploitation des anciennes colonies par leurs anciennes métropoles. De nombreux régimes, refusant de continuer à payer, ont été renversés. Ce processus contribue à l’appauvrissement des pays anciennement colonisés tout en enrichissant les élites locales et les puissances étrangères pour qui les fonds générés par cette dette constituent une manne inépuisable.
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