Il était environ 10 heures du matin dans la rue Vaillant lorsque les militants des organisations progressistes, sympathisants et signataires de l’Accord Montana ont commencé à se rassembler à la fois dans la rue et sur la cour de l’École nationale Argentine Bellegarde. La mobilisation pour l’activité d’aujourd’hui a commencé à se faire sentir. Certains attendent tout en discutant de la situation socio-politique du pays, tandis que d’autres assurent les derniers préparatifs pour la cérémonie. Une bande de rara assure l’animation musicale. La rue Vaillant était en effervescence.
Les organisations progressistes, les militants et les personnalités politiques ont décidé de ne pas laisser passer inaperçu ce 29 novembre 2023. Par conséquent, ils ont lancé une mobilisation pour rassembler un maximum de personnes autour du symbolisme de cette journée. Certes, le nombre de participants n’était pas élevé, mais dans ce contexte d’insécurité généralisée, de fuite et de découragement, il faut saluer la présence des personnes qui ont répondu à l’appel. Quant à cette activité, qu’en est-il précisément ?
Le rassemblement du 29 novembre 2023 visait à commémorer le massacre perpétré il y a 36 ans, lors des premières élections post-duvalieristes, plutôt que de célébrer les électeurs qui avaient courageusement exercé leur droit de vote. Cette tentative politique, autrefois perçue comme une conquête démocratique, a été violemment réprimée par des groupes paramilitaires hostiles à la tenue des élections. Ce sombre épisode rappelle cruellement les défis persistants de la démocratie dans un contexte où certains acteurs n’hésitent pas à recourir à la violence pour entraver le processus électoral.
Les mouvements sociaux organisés en Haïti, conjugués aux changements de conjoncture à l’échelle internationale, ont eu raison de la dictature des Duvalier. La concrétisation de ce mouvement a conduit à la promulgation de la Constitution de 1987, marquant une étape majeure dans l’histoire du pays. Cette constitution se distingue non seulement par l’affirmation tangible des conquêtes démocratiques pour les droits fondamentaux, mais elle a également imposé une responsabilité accrue à l’État en ce qui concerne leur mise en œuvre effective.
Plus jamais de dictature, place à la dignité, aux droits humains, à un État voué à corriger les injustices historiques infligées au peuple haïtien. Les élections du 29 novembre étaient l’expression ultime où le peuple haïtien agissait concrètement pour la réalisation de ces idéaux. Cependant, c’était sans compter sur la participation des élites rétrogrades, soutenues par la communauté internationale, qui avaient leur propre agenda, souvent divergent, en ce qui concerne les droits fondamentaux.
Oui, ces élites véhiculaient un discours similaire, mais basé sur l’incapacité et la prétendue non-préparation du peuple haïtien face à un tel défi. L’infantilisation des Haïtiens par ces groupes les conduisait à entraver tout processus échappant à leur contrôle. C’était une démocratie pour le peuple mais sans lui, une démocratie représentative. Pourtant, le peuple aspirait à participer pleinement aux décisions le concernant. C’est alors qu’un choc s’est produit, aboutissant au massacre de la ruelle Vaillant. Il est crucial de souligner que cette répression était généralisée.
Mais la triste renommée acquise par la ruelle Vaillant l’a rendue plus célèbre que d’autres. La dictature, que l’on croyait éteinte depuis le 7 février 1986, a malheureusement annoncé son retour de manière spectaculaire. L’exclusion politique persistait. Bien que des élections aient été organisées, elles se sont déroulées sous le regard vigilant de l’oligarchie et de la communauté internationale, avec la présence des grands partis d’avant le massacre. Leslie François Manigat, rayonnant sur la scène internationale à l’époque, a été proclamé président de la République.
Il est manifeste de constater le maintien du silence autour des événements survenus le 29 novembre. Plus de 36 ans plus tard, rien n’indique qu’un massacre a eu lieu dans la ruelle. Aucun mémorial, aucune plaque commémorative n’a été érigé. Il ne serait pas surprenant de constater que même les résidents de cet espace méconnaissent ces faits. L’oubli représente un acte politique visant à perpétuer la domination d’un groupe social. Cela s’applique aussi bien à l’esclavage, à l’occupation américaine, au duvalierisme qu’aux violences de la prétendue période démocratique.
L’initiative de la ruelle Vaillant en 2023 représente un acte de mémoire en l’honneur des disparus de ce jour tragique. C’est une forme de résistance contre un régime violent, corrompu et criminel qui, avec le soutien de la communauté internationale, cherche à conduire le pays vers des élections pour perpétuer un système épuisé. Enfin, c’est un acte de courage dans un contexte de fuite généralisée, où le terme même de mobilisation a perdu sa signification originelle.
Opinion| Mag.2 News
