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Devrions nous célébrer la naissance ou le suicide d’Henry Christophe?

En 2020, à l’occasion du 200e anniversaire du suicide d’Henry Christophe, l’ouvrage intitulé « La Vie Tragique d’Henry Christophe » a été publié par l’intellectuel haïtien Louis Emile Elie, sous les éditions de C3. Dans la présentation de cet ouvrage, Michel Soukar souleva une question intrigante : devrions-nous célébrer le suicide ou la naissance d’Henry Christophe ? Il semble que la vie et la mort de ce monarque du Nord revêtaient chacune leur propre signification.

En examinant le schisme qui a émergé en 1807 à la suite du coup d’État parlementaire mené par les hommes de l’ouest et du sud, de nombreuses personnes ont conclu que le pays a pris un tournant dont les conséquences sont visibles jusqu’à nos jours. L’histoire a tracé son chemin, et la République de Pétion a survécu contrairement à la monarchie constitutionnelle d’Henry Christophe. Certains admirent ce dernier pour ses réalisations, qualifiant son régime de progressiste en raison du nombre de projets qu’il a menés à bien.

Le Palais Sans Souci, l’église de Milot, les nombreuses écoles construites et surtout la Citadelle Henry sont des symboles de l’honneur, de l’orgueil et de la fierté haïtienne. Malgré le fait que ces vestiges témoignent d’une vision de l’État, d’un ordre établi, une insurrection a éclaté à la suite de l’attaque d’apoplexie dont Henry Christophe a été victime à Limonade. Cette insurrection avait couvé pendant un certain temps parmi la population du Nord, qui ne partageait pas les méthodes de gouvernance violentes de Christophe.

Michel Soukar parle d’un rêve, d’un idéal christophien. Il affirme que Christophe, en tant que monarque, avait pour orgueil de rétablir la fierté de l’homme noir, qui avait été déshumanisé et asservi sous le colonialisme français. Face à d’autres nations encore esclavagistes et colonialistes, Henry Christophe souhaitait élever le statut de l’Haïtien à une dimension internationale, voire universelle, à l’image de la révolution de 1804. Pour ce faire, la démocratie naissante n’était pas la méthode privilégiée. Son régime était caractérisé par une discipline stricte, voire, selon Louis Emile Elie, qualifié de criminel.

Toute cette discipline était teintée de manipulations vis-à-vis de la République de Pétion. Les articles et les missives adressés à Pétion avaient pour objectif non seulement de le soumettre, mais aussi de soulever le peuple de l’Ouest et du Sud contre lui, tout en maintenant les populations du Nord sous la coupe de la monarchie.

En ce qui concerne la population, elle avait également son propre rêve, qui l’animait dans toutes les résistances face à l’oppression. Si Christophe souhaitait instaurer un modèle de société basé sur de grandes propriétés comme unités économiques, avec l’idée d’exporter des denrées vers un marché international, les masses populaires aspiraient à l’autonomie, avec des espaces de vie axés sur la culture pour la consommation locale et régionale. C’est la collision de ces deux modèles de société. La violence de Christophe lui a permis d’imposer sa vision des hommes et des choses, au prix de la liberté tant chérie par les masses populaires.

Cette question continue de dominer le débat aujourd’hui, alors que les Haïtiens réfléchissent au modèle de société qu’ils aspirent à construire. Faut-il sacrifier la liberté de la population au nom de la sécurité de l’État ? Avons-nous besoin d’un gouvernement fort ? Fort pour qui ? Dans quel but ?

Deux cent vingt-trois ans plus tard, il est essentiel de méditer sur la signification de la vie et de la mort d’Henry Christophe. Il est tout aussi important de forger un rêve articulé autour du modèle de société pour lequel tant de sang a été versé et tant de vies ont été sacrifiées.

Richecarde Celestin

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