Une photo prise hier à Pétion-Ville lors du pillage du supermarché Tiger est devenue virale sur les réseaux sociaux. Les journalistes de Ted Actu ont capturé l’image de 4 policiers entourant un mineur impliqué dans les scènes de pillage. Celui-ci tend un bras comme s’il suppliait aux policiers de lui laisser la vie sauve. Sur d’autres captures, ce même enfant a été brutalisé et tenu en joue par ces mêmes agents de police. C’est une scène triste et révoltante. Certains accusent les policiers de manquer à leur devoir et d’utiliser toujours la force là où il ne le faut pas, surtout sur des manifestants non armés, tandis que d’autres blâment l’enfant.
Mais il faut faire preuve de recul face à cette image pour mieux la regarder. On y voit le visage de la crise, la banalisation de la vie et des biens, en même temps que la transformation des Haïtiens en monstres destructeurs. L’autre, ne faisant pas partie de notre groupe de reconnaissance, doit être détruit, anéanti. C’est le gage de la survie de l’autre partie. Sommes-nous toujours humains ? Ne l’étions-nous jamais ? On se pose ces questions, qui malheureusement restent sans réponse.
Laennec Hurbon et Herold Toussaint parlent d’habiter le pays, de le penser, de le construire. C’est un rêve que se sont fixé toutes les personnalités de différentes époques pour le pays. Des marrons aux paysans, en passant par les intellectuels haïtiens, pour ne citer que ceux-là. Ce rêve reste utopique, car les forces réactionnaires essaient toujours de détruire l’espace sur lequel évoluent les Haïtiens. Elles détruisent l’image, construisent et renforcent une narration violente et discriminatoire, organisent la déstructuration et nous acheminent vers d’autres territoires d’exploitation économique surtout. En somme, elles fabriquent, organisent et acheminent la main-d’œuvre à bon marché que nous sommes. Dire que l’esclavage n’est plus, mais que ses pratiques persistent.
Après plus de 30 ans d’évolution démocratique, il est temps de se questionner. Où exactement s’est produite cette cassure qui nous a conduit vers cette horreur dans laquelle nous sommes forcés d’évoluer ? Pourquoi sommes-nous des migrants en puissance ? Le sacrifice de nos ancêtres pour nous offrir une patrie, un espace digne de nos aspirations était-il réalisé en vain ? Quel est le sens même d’un pouvoir politique aujourd’hui ?
Penser, construire et habiter un pays, c’est créer les conditions intellectuelles et matérielles liées à notre réalité culturelle afin de nous retenir chez nous tout en ayant des relations avec les autres. L’école ne veut plus rien dire, la misère devient un argument justifiant notre incapacité de nous diriger nous-mêmes, et de ce fait, on part, on fuit pour nous séparer de cet espace ainsi que de ses dérivés.
On ne sait ni quand ni comment ni dans quelles conditions ce régime pliera bagage. Mais le constat est fait que c’est l’outil même de la banalisation du mal qui sévit en Haïti. Il faut que, justement après, on crée un espace de rencontre entre les différents acteurs de la vie nationale afin que le pays se remette à la dimension de son histoire. Un espace basé sur la reconnaissance de l’autre afin de discuter sur le penser, le construire et l’habiter de ce pays. L’héritage historique que nous sommes n’en peut plus d’être dilapidé, foulé, méprisé. Car en plein 21e siècle, une situation pareille reste inacceptable.
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