Qu’est-ce qu’un ami véritable ? C’est une question que beaucoup de personnes se posent. Comment se manifeste cette amitié véritable ? Plus d’un se sont questionnés sur le sens de cette valeur. Son évolution à travers le temps et l’espace, et son importance par rapport aux inquiétudes de la vie que mènent les individus. Cette valeur s’étend au-delà des individualités mais s’aligne également sur le collectif.
De l’amitié entre les personnes, on parle parallèlement de l’amitié entre les peuples, les nations, les communautés. Les horreurs de la Seconde Guerre mondiale ont poussé les décideurs du monde à le penser autrement. Après ce conflit meurtrier (on parle des millions de personnes tuées), il est question de la paix, de la solidarité, de la communication entre les peuples afin que plus jamais ce fait ne se reproduise. De ce fait, il est question de mettre en place des valeurs qui vont être matérialisées par les institutions nationales, régionales et mondiales. Au nom de la paix, du progrès des peuples, de la sécurité et du développement, entre autres, l’effectivité des droits fondamentaux de l’homme, celui-ci étant le centre de toutes ces démarches.
Pour sûr, cette idéal a suscité tant d’espoir. Plus de 70 ans après l’élaboration de ce nouveau projet social, économique et politique à l’échelle mondiale, constat est fait que les conflits augmentent, la misère, les discriminations s’amplifient, et la violence n’a jamais cessé. Elle est devenue même le moteur des rapports sociaux entre les hommes, les peuples et les États. D’où l’importance d’un débat en profondeur sur le concept même de la solidarité, théorisée par les grands du système international post-deuxième guerre mondiale et guerre froide.
En septembre 2023, est publié dans les Éditions LIBAYITI à Port-au-Prince, Haïti : « Urgence d’une solidarité internationale agissante (face à l’hypocrisie et la mainmise génocidaire des puissances impérialistes) », sous la direction du professeur-économiste Camille Charlmers et l’enseignant-syndicaliste Josué Merilien. Cet ouvrage est la collection de plusieurs réflexions, correspondances, positions et propositions de plusieurs personnalités haïtiennes et étrangères sur la solidarité internationale, sur le cas d’Haïti.
Un pays, depuis l’aube de son histoire jusqu’à aujourd’hui, a subi les affres et l’isolement de la communauté internationale, ainsi qu’une misère doublée d’une insécurité d’État. C’est un appel pour attirer l’attention et briser l’isolement sur les difficultés que traverse le pays. Le système capitaliste, étant globalisé, détruit les hommes et les environnements de toute nationalité. D’où la nécessité de faire un front commun contre ce projet de mort et destruction qui a tant coûté à l’humanité. Cet ouvrage a été en vente et signature le vendredi 1er décembre à l’Université Quisqueya, en présence de diverses personnalités du secteur académique et progressiste.
Avant tout, il faut aplanir le terrain concernant l’idée même de la solidarité. Car les concepts, étant également des espaces de luttes, les classes dominantes nationales et internationales les investissent afin de manipuler pour se construire une légitimité dans l’inégalité et la violence qui leur sont favorables. Les hégémoniques de la communauté internationale se disent amis d’Haïti. Sur la base de cette amitié, ils lui sont solidaires. Il faut être très attentif à ces narrations. C’est le point de départ de l’isolement et de l’auto-flagellation que pratique le peuple haïtien en se disant seul et unique responsable du marasme dans lequel il s’est plongé.
Selon le professeur Charlmers, le capitalisme mondialisé impose une hiérarchie de commandement. Les élites nationales obéissent, en échange de leur maintien au sommet de l’échelle sociale, aux exigences des élites mondiales. C’est une connexion centre-périphérie, comme l’affirme Immanuel Wallerstein dans sa théorie d’économie-monde. C’est une manifestation de la dépendance envers ce centre qui décide de placer, selon ses intérêts, des territoires dans la division internationale du travail. Pour garder les travailleurs sous leur coupe, cette hiérarchie manipule. On parle du développement, des droits de l’homme, de la paix, de la sécurité. La mondialisation est romanesque. Les grands aident les petits.
De ce fait, il est question de la mise en place des institutions politiques, économiques, sociales et culturelles pour lier les peuples entre eux. Mais au sein de cette organisation spatiale, le néolibéralisme domine et impose. Les territoires nationaux sont ouverts sous la pression de la force et la corruption au capital étranger. Lorsque ce capital engendre de la violence, de la ségrégation et de l’exclusion et que le peuple se soulève contre les affres de celui-ci, les interventions militaires s’opèrent au nom de la démocratie et des droits de l’homme. Mais en réalité, c’est le renforcement de l’État périphérique, instrument soumis aux lois du capital.
Ensuite, d’une manière plus douce, les actions humanitaires se réalisent, soit par un couloir humanitaire migrant vers les territoires du centre, soit par les projets des organisations non gouvernementales dans les milieux défavorisés en instance de rébellion, voire de révolution. Cette solidarité est un mélange de force et de douceur, un smart power selon Guilbourg Delamotte et Cédric Tellenne dans leur ouvrage collectif sur la géopolitique et géoéconomie du monde contemporain.
De l’expédition de Leclerc en 1802 à la potentielle venue des forces kényanes, Haïti a fait les frais de ces interventions orientées. Paradoxalement, ces actions sont plus audibles, plus visibles et obscurcissent la solidarité entre les peuples du Sud de l’échiquier mondial. C’est une solidarité dans la domination et la dépendance entre les puissances impérialistes et les territoires soumis à leurs injonctions. L’aide internationale se présente comme leur cadre de pensée privilégié.
Haïti, de son côté, offre malgré lui un modèle de solidarité dans l’autodétermination des peuples. D’abord, avec la résistance des nations autochtones contre le colonialisme espagnol. La Révolution et l’indépendance de la colonie de St Domingue offrent aux opprimés une autre alternative en matière de projet social. Les différents coups de main des pères fondateurs aux indépendantistes latino-américains en sont un modèle extraordinaire. La manipulation du discours historique trujilliste ne peut obscurcir l’aide militaire et diplomatique que Geffrard a offert aux Dominicains pour le succès de la guerre de libération contre l’Espagne.
Benito Sylvain est un héros dans la résistance éthiopienne contre le colonialisme occidental, sans oublier l’apport des intellectuels haïtiens dans la collaboration avec les personnalités africaines pour penser la construction de leur pays post-colonialiste. Les exemples sont nombreux. Aucun intérêt pécuniaire, sinon que la liberté. C’est cette réalité que les réactionnaires oligarques haïtiens et étrangers tentent d’obscurcir. En isolant le pays dans le front commun dans la lutte contre le capitalisme, et en maintenant une misère intellectuelle doublée d’une auto-flagellation. Nous sommes les uniques responsables. Un « nous » non homogène, il faut le signaler.
La publication de cet ouvrage prouve que la solidarité internationale agissante est en mouvement dans les Caraïbes, en Amérique latine, en Europe et en Afrique à travers les mouvements progressistes des paysans, des autochtones, des Afro-descendants, des spécialistes européens de la dette odieuse. Le fait de lire ces écrits est un acte qui vise à briser les chaînes de silence et d’isolement qui emprisonnent le peuple haïtien depuis tantôt 10 ans.
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