La France, formatrice de l’armée haïtienne : Un partenariat contradictoire ?
Port-au-Prince, 2 novembre 2024 – Ce dimanche, un premier groupe de soldats haïtiens s’est envolé pour la Martinique afin de recevoir une formation militaire sous la direction des forces armées françaises. La cérémonie, tenue en présence du ministre haïtien de la Défense, des dirigeants des Forces Armées d’Haïti (FAd’H) et de l’ambassadeur français, marque un tournant dans les relations entre les deux nations.
Pourtant, pour de nombreux Haïtiens, ce rapprochement soulève une question épineuse : pourquoi l’ancienne puissance coloniale, contre laquelle nos ancêtres ont lutté pour arracher leur liberté, est-elle aujourd’hui responsable de former les soldats qui doivent assurer notre sécurité ?
Un passé colonial qui ne s’efface pas
Haïti est née dans le sang, la sueur et le sacrifice des esclaves africains qui se sont rebellés contre l’oppression coloniale française. En 1804, la République haïtienne proclamait son indépendance, devenant le premier État noir libre du monde et le symbole d’une résistance contre l’oppression. Aujourd’hui, près de 220 ans plus tard, cette même nation accepte que des soldats haïtiens soient formés par les forces armées françaises, une puissance qui a historiquement exploité, opprimé et déshumanisé le peuple haïtien.
Il est difficile de ne pas voir cette collaboration comme une contradiction fondamentale des principes sur lesquels notre pays s’est fondé. Haïti a brisé ses chaînes face à la France, pour se libérer de son joug esclavagiste et colonialiste. Accepter aujourd’hui une formation de ses militaires par des instructeurs français peut donc apparaître pour certains comme une trahison de la mémoire de nos héros indépendants.
Sécurité ou dépendance ?
Si le besoin de renforcer la sécurité en Haïti est indéniable, pourquoi s’en remettre à l’ancienne puissance coloniale pour assurer cette mission si cruciale ? Les critiques soulignent que ce partenariat peut créer une dépendance militaire qui compromettrait l’autonomie de la jeune armée haïtienne. Au lieu de cultiver une force nationale autonome et indépendante, l’État haïtien place la formation de ses soldats entre les mains d’un pays qui, historiquement, a cherché à le dominer.
Alors que les autorités haïtiennes présentent cet accord comme un moyen de renforcer les capacités de défense nationale, certains craignent qu’il ne s’agisse que d’une relation déséquilibrée qui renforce l’influence de la France sur la politique intérieure d’Haïti. Une situation ironique pour un pays qui a payé le prix fort – une dette d’indépendance exigée par la France elle-même – pour garantir sa souveraineté.
Le message controversé de l’ambassadeur français
Lors de la cérémonie de départ des soldats, l’ambassadeur français en Haïti a déclaré : « J’ai eu le plaisir de saluer ce matin, aux côtés du Ministre de La Défense, le départ du premier groupe de soldats haïtiens qui recevra une formation en Martinique. Première étape d’une coopération entre les forces armées françaises et les FAd’H, pour la sécurité en Haïti. » Si ces propos visent à afficher un partenariat dans l’intérêt de la sécurité haïtienne, ils suscitent néanmoins des questions. Quel message envoie cette « première étape » à la population haïtienne, qui voit en la France l’ancienne puissance coloniale et esclavagiste ?
Pour de nombreux Haïtiens, cette coopération ne peut pas être vue comme un simple partenariat technique, mais bien comme une relation dont la symbolique pèse lourdement. La mémoire collective du peuple haïtien est imprégnée des souffrances imposées par la France coloniale. En acceptant que la formation de l’armée haïtienne soit assurée par une puissance étrangère qui a longtemps profité de son exploitation, les dirigeants haïtiens prennent le risque de trahir l’histoire du pays.
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