Opinion

La Prière de Boukman et la Cérémonie du Bois Caïman : Résistance, Mémoire et Lutte Contre l’Oppression

Bondye ki fè solèy klere nou anwo. Ki soulve lanmè, ki fè gwonde loray. Bondye la zòt tande kache nan yon nyaj. E la,li gade nou,li wè tout sa blan fè. Bondye blan an mande krim, e pa nou an vle byenfè. Men dje pa nou an ki si bon òdonnen nou vanjans. Li va kondui bra nou, li va ban nou asistans. Jete potre blan an ki swaf dlo nan je nou. Koute la libète ki pale nan kè nou tout.

Ce sont les paroles de Boukman, l’un des tout premiers révolutionnaires et personnages emblématiques de l’histoire d’Haïti. Ces paroles, prononcées lors de la cérémonie du Bois Caïman dans la nuit du 14 ou 15 août 1791, ont galvanisé les esclaves et les leaders de diverses plantations de sucre dans le département du Nord. Elles ont conduit, 8 jours plus tard, à l’entrée en scène des esclaves dans le processus révolutionnaire de la colonie de Saint-Domingue, en ébullition depuis 1789.

Quoique les historiens haïtiens ne s’accordent pas sur la véracité de ce fait historique ou à l’espace même où il s’est produit, la cérémonie du Bois Caïman reste l’un parmi les plus marquants de l’histoire du pays. Les haïtiens conscient de sa valeur historique s’en sont attaché.

La cérémonie du Bois Caïman revêtait un double aspect : politique et religieux, voire mystique. Les esclaves, déjà engagés dans la résistance face au système colonial et informés de la situation en France ainsi que de ses répercussions, se sont réunis pour déterminer comment ils pourraient eux aussi contribuer à la destruction de l’ordre colonial. Pendant ce temps, les classes des propriétaires blancs et affranchis luttaient pour obtenir une autonomie voire une indépendance, suivant le modèle américain.

En d’autres termes, il s’agissait d’un processus conçu par et pour les propriétaires des moyens de production coloniaux, sans qu’il y ait de grands changements dans le mode de production esclavagiste. Ces propriétaires aspiraient à devenir les principaux bénéficiaires des conséquences qu’engendrerait la destruction de l’ordre colonial, dont le commerce libre constituait l’un des aspects les plus importants. De leur côté, les esclaves, qui étaient les principaux exploités de ce système, souhaitaient la liquidation totale de la colonie, avec l’élimination de tous les appareils de répression qu’elle représentait. La prière de Boukman représente une critique enflammée des dispositifs idéologiques qui justifiaient l’esclavage.

L’Église catholique apostolique romaine est prise pour cible. Cette dernière se sert du châtiment d’Adam comme argument, lui conférant une signification qui justifie le maintien des Noirs et de leurs descendants enchaînés dans l’esclavage. On les considère comme inférieurs et créés ainsi. Pour que cela change, on insiste sur la nécessité du travail esclavagiste comme moyen de se racheter du péché originel et d’obtenir une place au paradis. Tout un système de pensée est mis en place pour justifier l’oppression et l’effacement culturel des cultes ancestraux des Noirs.

La prière de Boukman nous exhorte à rejeter cet outil idéologique qu’est l’Église, en raison de sa violence et de son soutien aux atrocités de l’esclavage. Elle nous encourage à renouer avec les cultes ancestraux en tant que refuge et source de force dans la lutte contre l’oppression. Les esprits ancestraux ont accompagné les captifs dans les cales des négriers, et il est impératif que ces derniers les sollicitent pour garantir leur victoire dans la lutte pour l’indépendance du pays. C’est précisément le sens de la portée religieuse et mystique de la cérémonie.

Les relations problématiques que les Haïtiens entretiennent avec leur histoire, le rétablissement du néocolonialisme en Haïti à partir de 1825, les diverses campagnes anti-superstitions menées par l’Église catholique, ainsi que les attaques répétées des fondamentalistes religieux évangéliques, tendent à effacer la mémoire de l’esclavage à Saint-Domingue. Ils ont tenté maintes fois de détruire le site du Bois Caïman en utilisant de l’acide et en mettant le feu aux arbres centenaires au nom de la conversion et de la lutte contre le diable. Selon eux, c’est à cause de ce pacte sanguinaire que le pays est plongé dans l’insécurité et la misère. Il est temps de remettre ce pays entre les mains de Dieu, le Dieu blanc passif qui avait été critiqué par Boukman en opposition à la colonisation.

La prière de Boukman n’est pas enseignée, tout comme l’histoire d’Haïti, afin de mieux comprendre la réalité et de la changer. Malgré toutes ces attaques, les cultes ancestraux adoptent une logique de résistance contre l’oppression idéologique et culturelle. La mémoire de Boukman et du Bois Caïman, bien qu’elle soit continuellement malmenée, ne sera jamais effacée.

Richecarde CÉLESTIN

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