Certains observateurs de la société haïtienne affirment que le pays doit abandonner une posture de refus pour adopter celle de la proposition. Oui, il faut proposer. Car aucune avancée ne peut se faire seulement dans la contestation. « Nou pa vle! » Oui, c’est correct, mais qu’est-ce que nou vle? On est bloqué dans cette situation, tout en constatant que la crise s’aggrave et que les souffrances en Haïti sont devenues courantes. Le nombre de personnes qui ne sont pas en train de fuir est minime, voire inexistant. Certains ont eu l’occasion de fuir physiquement, d’autres, faute de pouvoir quitter cet endroit infernal, rêvent de fuir. C’est un fardeau mental énorme de penser à un autre endroit tout en restant physiquement bloqué ici.
Il faut se parler, non seulement pour résoudre les conflits, mais aussi pour passer à l’étape suivante tout en rompant avec le passé. C’est ce que propose l’Accord Montana, en réponse aux appels pressants de la population haïtienne pour une sortie de crise. Ted St Dic, le porte-parole du collectif dirigeant l’Accord, parle de la nécessité de se rencontrer et de se parler dans ce moment historique douloureux que nous traversons.
La mort du président Jovenel Moïse fait suite aux dysfonctionnements institutionnels que connaît l’État haïtien. Toutes les institutions de représentation politique sont en crise. Il n’y a pas eu d’élections pour renouveler les membres du pouvoir législatif. Les pouvoirs exécutif et judiciaire connaissent également leur lot de dysfonctionnements. Cependant, le chaos est paradoxal dans son essence même. Il est à la fois destructeur et porteur d’émergence. Selon de nombreux observateurs, c’est le moment historique que les Haïtiens attendaient pour engager un dialogue franc afin de repenser le pays et de changer de cap.
L’Accord Montana rassemblait les partis politiques, les organisations de la société civile, le secteur religieux, ainsi que des personnalités publiques passées et présentes. Ce qui les unissait, malgré la diversité idéologique, était un constat et un refus. Un constat que la situation actuelle se détériore et que les Haïtiens doivent se rencontrer et se parler. Conscients de leur engagement dans la société et de l’importance du pays en tant qu’héritage de leurs ancêtres, ils ne doivent pas laisser la crise structurelle et conjoncturelle détruire ce qui leur reste comme espace haïtien, un espace qui leur est propre. Et le refus, c’est de ne plus alimenter cette spirale de violence et d’exclusion que le peuple a connue tout au long de son histoire. L’objectif n’était pas de briguer un poste politique, mais d’être créatif et de permettre l’émergence d’un collectif légitime pour diriger et concrétiser cette initiative, qui, avec beaucoup d’espoir, pourrait amorcer un changement réel pour la société haïtienne dans son ensemble.
Parallèlement à ce groupe d’acteurs, la communauté internationale, dirigée dans le cas haïtien par les États-Unis et la France, évoluait. Ces deux États, acteurs majeurs de la crise, entretiennent une relation raciste et coloniale avec Haïti. Plutôt que de laisser passer un groupe visant à résoudre la crise de manière haïtienne, ces acteurs préfèrent envenimer la situation en attendant de trouver leur propre agenda de sortie de crise. Ensuite, ce sont les membres du gouvernement en place après l’assassinat de Jovenel Moïse. Forts du soutien de la communauté internationale franco-américaine, le premier ministre entame un autre accord qui légitime sa présence et son action gouvernementale. Son agenda était clair : créer un large espace de consultation, un Haut Conseil de la Transition. Tout converge vers la création d’une Commission électorale permanente (CEP) pour organiser des élections. Les maîtres ont choisi cette voie et ont isolé les acteurs de Montana qui recherchaient également le soutien de la CARICOM, qui malheureusement, issue d’un espace géographique dominé, n’arrive pas à contrebalancer le récit au niveau international.
L’Accord Montana était la solution haïtienne à la crise. L’idée était de créer un espace de dialogue et de négociation pour définir un agenda de sortie de crise. Mais une fois de plus, comme ce fut le cas après le 7 février 1986, les forces réactionnaires bloquent ce processus, tout en soutenant le leur, au mépris des victimes de violences de toutes sortes, et ce, depuis 30 mois. Le 7 février 2024, le constat d’échec était clair. Rien ne va. L’agenda gouvernemental a encore échoué. Les Haïtiens fuient et sauvent ce qui leur reste de vie. Ceux qui restent en Haïti n’ont pas d’issue.
L’histoire est tranchante, toujours avec ceux et celles qui ont méprisé ses leçons. Après l’adresse à la nation du Premier Ministre, une ombre noire s’abat sur les prochains jours. Il faut revenir à l’alternative de Montana, car c’est ce qu’il nous reste comme solution. Mais comme le disait Michel Rolph Trouillot, le « nous » tant espéré n’est jamais homogène. Il faudrait rassembler ceux qui ont conscience que le pays n’en peut plus. Il est grand temps de le faire.
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