Opinion

Le Dialogue National : Se parler entre Haïtiens, un défi monumental

Le dialogue national fut une idée de Turnep Delpé, une personnalité œuvrant sur la scène politique haïtienne dans les années 90 et 2000. « Il faut se parler, pour se reconnaître, se comprendre et construire l’intérêt national. » Il est plus qu’une nécessité que les Haïtiens entament un dialogue franc et sincère afin de sortir de la crise dans laquelle le pays est plongé depuis des décennies. Certaines personnes pensent que c’est une opportunité pour que les groupes sociaux et les groupes d’influence se rencontrent et se parlent. D’autres, plus sceptiques, considèrent que c’est une blague de mauvais goût.

Au milieu de ces contradictions, le gouvernement du Dr Garry Conille a publié un décret sur la conférence nationale souveraine. Lors de cette conférence, il sera question de définir quel pays, quel modèle de citoyenneté et quelles institutions doivent acheminer le pays vers la stabilité. Il sera également question de la réforme constitutionnelle, visant à doter le pays d’une nouvelle constitution. Il est question de réformer l’État, car l’actuel ne peut résoudre la crise. Le dialogue national doit être l’affaire de tous. Donc, que faut-il en penser ?

Il faut d’abord penser à la légitimité que les acteurs politiques détiennent pour lancer une telle initiative. Depuis 2010, le pays est entré dans une ère de violence sans précédent. Les observateurs avisés affirment même que c’est la première fois qu’un tel niveau de violence est constaté. En plus de la misère et de l’inégalité, le régime en place, appuyé par la communauté internationale, a fait le choix du banditisme et du terrorisme comme rapport politique entre eux et la population. Cette dernière conteste le modèle de l’État, le modèle de la gouvernance et les institutions publiques du pays. En réponse, le pays est gangréné par des groupes armés qui ont pratiquement encerclé la capitale et certaines villes de province.

Dans cet état de fait, il est impossible de projeter, de rêver, d’espérer. Pour garantir leur vie, les Haïtiens se sont trouvés dans l’obligation de fuir par tous les moyens possibles. La violence et l’exclusion, qui étaient déjà des problèmes structurels, se sont aggravées. Il faut que cela cesse. Il faut dire stop. L’insécurité n’est pas seulement une question de groupes armés ou d’un gouvernement qui ne peut ou ne veut pas porter de solution. Il s’agit de vies gâchées, d’espoirs tués, et d’une fuite généralisée. Les Haïtiens ne sont plus des Haïtiens, ou ne l’ont jamais été. Les tenants politiques, économiques et socio-culturels, jaloux de leur position hégémonique, leur ont refusé ce droit, et ce dans une extrême violence.

Comment un régime générateur de violence, qui a fait le choix de l’insécurité comme modèle de gouvernance, peut-il se permettre de rassembler pour entamer un dialogue ? Un dialogue entre qui ? Pourquoi ? Où ? Comment ? Dans quel but ? Plus de dix ans de décapitalisation, de massacres, de corruption dans tous les domaines et de banalisation. La maladie peut-elle aussi être le remède ? C’est un défi à la rationalité.

Le pays est construit sur une base de refus, non sur un projet. C’est le choix que les élites antinationales soumises au capital étranger ont fait depuis plus de 200 ans. Le refus de la colonisation et de l’esclavage, et le refus que les classes populaires fassent elles aussi partie de l’échiquier politique. Dès lors, c’est une cascade de violence, de répression et d’intervention militaire étrangère, afin de maintenir cet état de fait.

Oui, il faut se parler, c’est le principe de la démocratie. Mais le dialogue ne peut se construire avec l’impunité et le silence. Sinon, ce serait une façon douce pour que le système d’oppression puisse se refaire en attendant de créer une autre crise. Oui, il faut que les Haïtiens se parlent. Mais il faudrait d’abord une reconnaissance pour éviter le dialogue de sourds qui fut une constante dans l’histoire du pays.

Richecarde Célestin

Richecarde Célestin

Richecarde Célestin, né le 5 juillet 1992 à Port-au-Prince, Haïti, est un juriste et rédacteur, mettant son expertise au service de sa communauté.

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