Chômage, insécurité, dépravation, dépression : la jeunesse actuelle est en grande partie la victime principale de ces maux. Les membres des groupes armés, des principaux chefs aux exécutants, sont souvent jeunes. On observe également une forte présence des jeunes dans les départs massifs vers l’étranger et une dépendance économique persistante à leurs parents, déjà fragiles financièrement. En outre, de nombreux jeunes utilisent des obscénités sur les réseaux sociaux. Ces observations soulèvent des questions cruciales : que s’est-il passé pour que la jeunesse prenne ou subisse ce tournant inquiétant ?
Le terme « jeunesse » est séduisant. On parle souvent de remettre le pouvoir aux jeunes, comme François Duvalier l’a fait lorsqu’il, pressentant sa fin prochaine, a pris des mesures politiques et constitutionnelles pour faire élire son fils, Jean-Claude Duvalier, alors âgé de 18 ans. Cette mesure a eu des conséquences légales : l’âge de la majorité est alors passé de 21 à 18 ans. La jeunesse est un pari pour l’avenir ; il faut préparer les générations futures à prendre les rênes de la société dans tous les domaines, récompenser les meilleurs par des bourses et des avantages économiques, sans toujours questionner les méthodes et les institutions impliquées.
En somme, la jeunesse représente l’avenir, tant pour les individus que pour leurs parents, qui ont tout misé pour assurer leur vieillesse. C’est une grande responsabilité, que certains assumeront et d’autres fuiront. Cependant, récemment, on observe une déliquescence du terme, comme s’il avait perdu tout son sens. Les jeunes adultes proches de la vieillesse se proclament jeunes pour maintenir leur influence et leurs avantages sociaux tardivement acquis, protégeant jalousement leurs acquis avec violence ou manipulation.
Dans l’histoire d’Haïti, la jeunesse a été au cœur de nombreux mouvements sociaux et politiques ayant eu une grande influence sur le pays. De la révolution pour l’indépendance en 1804 aux contestations anti-obscurantistes sous Boyer, en passant par les levées de boucliers populaires sous Salnaves, les débats parlementaires durant les périodes des grands partis libéraux et nationaux, le firminisme, la lutte contre l’occupation américaine, le mouvement de 46, la lutte contre la dictature et pour la démocratie, les jeunes ont toujours été présents.
Cependant, les acquis démocratiques ont souvent été volés ou détournés au profit des classes dominantes. Le dernier mouvement en date, celui pour la reddition des comptes du programme Pétrocaribe, a plongé la jeunesse militante dans un désenchantement dont elle mettra du temps à se remettre. Ce désenchantement a conduit de nombreux jeunes à chercher à fuir la misère, soit en se tournant vers la corruption ou le favoritisme, soit en migrant vers des cieux dits cléments des programmes humanitaires.
Cette quête d’existence donne naissance à de nombreuses contradictions et manipulations, notamment pour ceux qui craignent une participation effective dans les affaires sociales et politiques. Ces contradictions proviennent des espaces de reproduction sociale tels que l’école, l’église ou la famille, ainsi que des quartiers où résident les jeunes. Les intérêts des jeunes des quartiers populaires se heurtent souvent à ceux des quartiers résidentiels. Les contradictions idéologiques sont également importantes. On constate une peur ou un refus systématique d’assumer le pays dans toutes ses dimensions.
Assumer son pays implique des risques qui ne mènent pas toujours à des bénéfices économiques. Souvent, les profits économiques sont en contradiction avec cette posture. Plus on est conscient des contradictions de classe, plus l’argent semble fuir. Cela facilite l’émergence de la pensée du développement personnel au détriment d’une réflexion critique sur le pays. Cette situation engendre un individualisme croissant et une misère intellectuelle. Les jeunes construisent leur identité sur cette pensée, tandis que le système laisse passer quelques personnalités pour manipuler la pensée de cette catégorie afin d’éviter qu’elle ne comprenne les véritables causes de sa misère, à savoir le modèle économique adopté depuis les années 80.
La misère intellectuelle, le refus de la pensée critique et l’action organisée deviennent ainsi le prix de cette existence, d’où les dépravations constatées sur les réseaux sociaux. Dans ce contexte, il semble que soit on fuit, soit on se soumet, avec pour prix une existence pas toujours assurée, d’où l’importance de la santé mentale pour ceux pour qui tout semble fermé à double tour.
Cependant, de cette situation difficile peuvent émerger des signes d’espoir. Un groupe, constitué d’organisations à faibles moyens financiers, expérimente la résistance collective. Ce groupe propose un discours différent sur le pays et entreprend des actions concrètes dont il est important de parler. Toutefois, les avis sont partagés quant à l’état futur du pays dans les 20 prochaines années. Devons-nous espérer un changement réel à partir de ce petit groupe ou redouter un nouveau déclin, causé par d’autres ayant choisi une existence vide en échange de gains économiques passagers ?
Le temps nous apportera la réponse.
Mag.2 News