Accordé aux diverses interventions faites, notamment sur les réseaux sociaux et dans les médias, le terme révolution fait partie de ceux les plus utilisés, après consensus et départ organisé. Tout cela arrive après que Guy Philippe, un ancien militaire, fit son apparition sur la scène politique en Haïti. Ce dernier inquiète et rassure en même temps, puisqu’il parle de révolution, de changement radical. Son parcours politique et l’initiative armée dont il a pris la tête en 2004 lui offrent un fond d’expérience dont il use pour non seulement appuyer le discours révolutionnaire qu’il mentionne mais aussi pour séduire. Son évolution sur la scène politique nationale crée un intérêt autour du concept. Les divers mouvements de protestation constatés notamment dans les grandes villes de province alimentent cet état de fait. Le peuple, dit-on, a trouvé un leader et est occupé à faire sa révolution, pendant que d’autres s’alignent sur la position du pouvoir en place, jaloux de son pouvoir politique.
Toutefois, une chose est certaine, la situation est une dot révolutionnaire. Le pays est mûr depuis quelque temps pour qu’une révolution se fasse. La vie en Haïti est chaotique. À la misère et l’incertitude des lendemains, s’ajoute une insécurité alimentée par la guerre des groupes armés et l’occupation par ces derniers des quartiers populaires, dont les habitants sont les principaux acteurs d’où peut provenir un changement réel. Face à cette réalité critique, qui prend image d’un bateau qui est entrain de couler, les naufragés, dans un instinct de survie, tendent la main à n’importe qui prétend les tirer de ce mauvais pas. Pas de temps pour réfléchir sur la véracité de cette posture et la capacité de cet héros.
Parlant de révolution, l’idée s’accentue sur un changement violent en profondeur des réalités sociales, politiques et économiques. Les catégories opprimées sont celles qui portent à la fois l’idée de la révolution ainsi que le projet révolutionnaire. Dans le cas des États-Unis et de la France, les révolutions de 1776 et 1789 sont pensées autour de la liberté et des droits de l’homme et un nouveau rôle pour l’État. Cet État qui assujetti à l’aristocratie de l’époque est pris par la bourgeoisie qui, forte de ses moyens économiques et idéologiques, change son orientation. Les classes dominantes sont évincées au profit d’une autre avec un nouveau projet social en rupture avec l’ordre ancien. La révolution est d’abord une idée, une pensée, un projet social de rupture mené par un groupe qui se sent lésé par l’ordre établi.
Ce projet révolutionnaire, digne des temps modernes, n’est toutefois pas universel. C’est une révolution entamée et aboutie pour les blancs libéraux qui assurent que le système esclavagiste, modèle économique phare à l’époque afin que la domination économique de leur classe reste intacte. La révolution de 1804 universalise la question des droits de l’homme et l’étend aux catégories non blanches opprimées. De ce fait, c’est un coup porté au symbolisme même de l’idée des droits de l’homme. L’homme des droits de l’homme selon la philosophie des lumières se limite aux Occidentaux. C’est un projet social de telle envergure qu’il a été isolé lui et ses principaux porteurs au non d’une hiérarchie spatiale, sociale à caractère mondial, il faut le souligner. Haïti paie le prix d’avoir offert aux peuples travailleurs opprimés, une alternative qui les libère de l’oppression coloniale et capitaliste.
La connaissance historique du pays est capitale pour quiconque ambitionne de guider ce pays. Le mépris ou l’ignorance de l’histoire d’un peuple ou d’une communauté maintiendra ces derniers dans une obscurité profonde qu’il est prêt à se prêter à n’importe quel jeu visant à le libérer de ses chaînes oppressives. C’est ce qui nous arrive ici en Haïti. C’est la base même de cette narration immonde qui nous place en dernier sur l’échelle des peuples. La révolution de 1843 pouvait par son projet social changer la donne. Non seulement c’était une lutte politique contre le gouvernement de Boyer, mais c’est tout un projet social qui se profilait. L’idée, c’était de changer la gouvernance du pays vers les idées libérales héritées des penseurs occidentaux, mais ces idéaux étaient parallèles au projet paysan, qui lui réclamait une inclusion économique et sa participation politique aux décisions nationales.
La constitution de 1843, surnommée le petit monstre, était selon les acteurs politiques inapte au réalisme politique du pays. Les mêmes élites se sont appuyées sur les paysans dans un discours séducteur pour les manipuler et les tromper encore plus. Car leur exclusion et manipulation étaient le prix à payer pour les garder dans leur condition. Ce sont les conséquences de ces manipulations au non de la révolution qui ont débouché sur la crise de 1867-1869. Cette crise a été réprimée dans le sang. Encore une fois, la paysannerie et les classes populaires urbaines ont fait les frais de l’alliance des élites nationales et de la communauté internationale de l’époque qui voulait, dans un néocolonialisme, replacer et contrôler l’espace haïtien sous leur domination économique et financière.
La deuxième révolution que reconnaît l’histoire de ce pays fut celle de 1946. Le pays fut placé sous la domination de l’impérialisme américain. Dans une période de deuxième guerre mondiale, le territoire haïtien fut organisé pour appuyer l’effort de guerre américain. Ce dernier, dans une politique de doublure et de colorisme, contrôle la politique en Haïti. Les mouvements sociaux à caractère communiste investissent l’espace politique du pays. Les jeunes du journal la ruche étaient les porteurs, et militaient pour que l’État soit le propriétaire des moyens de production pour réduire l’inégalité, et ce dernier devrait être un État prolétarien. Le même scénario fut reproduit. Le noirisme l’emporta sur ces idéaux révolutionnaires. Et les penseurs de cette école idéologique furent tués, emprisonnés, exilés ou corrompus par ces mêmes élites rétrogrades et dominées par le capital américain.
Que dire du mouvement de 1986, qui donna un instrument juridique de changement social pour les Haïtiens ? De 1986 à nos jours, les élites ont vidé dans le sang les efforts consentis pour une société plus démocratique et inclusive. Revenons sur cette cacophonie médiatique actuelle : Quel est le projet social ? Quels en sont les acteurs, leur passif politique ? S’agit-il d’une stratégie pour mieux se positionner dans le partage des dépouilles étatiques ? Ou d’une lutte au niveau des discours pour pervertir toute énergie révolutionnaire en Haïti ? Le temps amène toujours des réponses, assez souvent peu réjouissantes.
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