Opinion

Haïti: Partir ou mourir, une génération sacrifiée

On se questionne sur le désespoir, les violences que cette génération de jeunes a subie. Avons-nous connu ne serait-ce qu’une seule fois un moment de paix, voire de sérénité, pour développer les qualités acquises sur les bancs de l’école ? Oui, à l’école, car c’était le seul chemin, la seule opportunité que nos parents pouvaient nous offrir. Tout y est investi pour qu’une année réussisse. Malgré les complexités liées à l’éducation en Haïti, tous les parents peuvent s’aligner sur le même point de vue : nous devrions envoyer nos enfants à l’école pour qu’ils deviennent des hommes et des femmes respectables et respectés, afin qu’ils puissent nous accompagner au soir de notre vie.

C’est la raison qui justifie toute cette énergie, voire parfois de la violence, pour que l’enfant qui est élève puisse obtenir de bonnes notes, voire la meilleure note. Qui dira qu’il ne se souviendra même pas une fois que ses parents, ou l’un d’entre eux, questionneront ses résultats par rapport aux premiers ou premières de la classe. Qu’ont fait ces parents que nous n’avions pas fait ? Aujourd’hui, on peut avoir des réserves sur ces interrogations, mais il faut saluer le rêve d’excellence des parents pour leurs enfants. C’est leur seule fierté, la raison même des efforts consentis.

Les rêves ne manquaient pas, mais ce qui faisait défaut, c’était un pays qui aurait dû guider, à travers ses institutions, l’énergie de cette génération. Les membres de ce groupe ont entre 30 et 40 ans et voient déjà leur avenir sacrifié au nom d’un statu quo mortel, le prix d’une géopolitique criminelle qui détruit, au nom d’une logique économique, l’espace, la vie et le corps des jeunes hommes et femmes diplômés dans tous les domaines, à qui l’on avait prétendument confié l’avenir du pays, comme si ce dernier était autonome, voire indépendant.

C’est un groupe qui vit une crise générationnelle, une crise identitaire par rapport aux missions qui leur étaient confiées dès leur jeune scolarité. Maintenant, le seul échappatoire réside dans la fuite, que ce soit vers les États-Unis, le Canada, l’Amérique latine, la Turquie, n’importe où, sauf Haïti, qui est devenue génératrice de mort et de désespoir. Les violences de ces dix dernières années ont causé la mort de nombreux jeunes. Combien ont été victimes d’enlèvements, d’affrontements entre groupes armés, ou se sont suicidés ?

Combien sont morts à l’intérieur mais circulent tels des morts-vivants ? Les rêves et les idéaux chéris depuis leur plus tendre enfance sont noyés dans l’alcool, le sexe et d’autres plaisirs qui aident à fuir la réalité. Oui, ils ont des cerveaux, mais ils ont peur de réfléchir, car la pensée peut aussi les conduire vers la mort. C’est un groupe à qui le système a offert la mort de différentes manières et dans différents domaines. On peut toujours entretenir une illusion de progrès, mais quel progrès ? Partir ou mourir, c’est la quête, ou du moins mourir en partant reste la seule alternative. Mieux vaut être ailleurs qu’ici. La mort serait beaucoup plus honorable.

Richecarde Celestin

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